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Jeanne Thérèse Fatou Diouf & Assane Kébé
  • Project update

Enquête sur l’alimentation de rue à Dakar et sa banlieue: Nouveaux lieux et nouvelles habitudes alimentaires

8 October 2019

Du 5 au 7 Juillet 2019, Jeanne Thérèse Fatou Diouf et Assane Kébé, volontaires du Street Food Project ont réalisé une enquête sur l’alimentation de rue à Dakar. Jeanne a visité le centre-ville de Dakar et ses alentours (Sahm, Colobane, Niary Talli etc). En ce qui concerne Assane Kébé, la banlieue de Dakar (Thiaroye et Pikine) a été son terrain.

Du 5 au 7 Juillet 2019, Jeanne Thérèse Fatou Diouf et Assane Kébé, volontaires du Street Food Project ont réalisé une enquête sur l’alimentation de rue à Dakar. Jeanne a visité le centre-ville de Dakar et ses alentours (Sahm, Colobane, Niary Talli etc). En ce qui concerne Assane Kébé, la banlieue de Dakar (Thiaroye et Pikine) a été son terrain.

Un état des lieux…

Ils sont tout de suite frappés par le nombre impressionnant de commerces le long des routes les plus fréquentées qui donnent l’impression que toute la ville s’est transformée en un marché gigantesque. Au premier abord le contenu de ces commerces n’attire pas particulièrement l’attention, mais vu de près, on se rend compte qu’il n’y a pas une grande différenciation des produits mis en vente. A chaque coin de rue aussi, des lieux de vente d’aliments divers se disputent le décor avec les autres types de commerce. Ces lieux sont soit des « cantines »[1], soit des garages de maison transformés en espace de restauration avec une grande table et des bancs en bois autour pour la clientèle, soit des kiosques en métal ou en bois collés à un mur ou au bord de la route. La majorité des lieux visités est cependant constituée d’installations très rudimentaires :

« Certains disposent de simples tables posées à l’air libre, d’autres restent sous le soleil tandis que d’autres, comme les vendeuses de petit déjeuner, joignent des draps pour en faire une sorte d’isoloir dans un angle de rue »

Les matériels utilisés sont nombreux : des récipients en inox ou en plastique ou encore en verre, des cuillères, des plats, une bonbonne de gaz ou un fourneau à charbon, des bassines en plastique pour la lessive, quelques bidons d’huile de 20 litres recyclées en réserve d’eau et une pile de papier journal utilisé comme emballage. En milieu de journée, il est aussi fréquent de trouver immédiatement à côté un vendeur qui propose, après le repas, des jus locaux sucrés et frais ou du café et du thé. L’hygiène y est la plupart du temps douteuse mais cela ne semble pas particulièrement déranger les clients qui discutent bruyamment et témoignant d’une grande familiarité avec le vendeur. Ces places que l’on retrouve dans toutes les grandes artères de la ville (marchés, gares routières, terminus de bus ou taxis, devantures d’écoles, d’hôpitaux ou de grandes entreprises) font des fois l’objet de déguerpissement par les municipalités qui luttent contre l’encombrement des trottoirs.

…Et des personnes

En fonction du lieu et du type d’alimentation considéré, on rencontre plusieurs types de vendeurs, des deux sexes et de tout âge. Dans les marchés par exemple, les repas de midi sont préparés en général par des femmes ressortissant des autres régions du pays venues s’installer à la capitale pour se consacrer au métier de la restauration. Alors que dans les quartiers, les vendeuses de petit déjeuner sont en général des riverains qui aménagent un coin, proche de leur lieu d’habitation où elles proposent leurs aliments aux voisins et aux passants. On rencontre aussi un grand nombre de migrants de la sous-région (Haoussa du Niger, Peuls de la Guinée, Maures) qui vendent en général de la viande préparée d’une manière qui fait leur spécialité[2] ou tiennent un système de restauration spécialisé dans le service de petits déjeuners et diners : le tangana. La clientèle est tout aussi diversifiée : des chauffeurs de bus et de taxi, des travailleurs du marché et des chantiers proches, des étudiants et élèves, mais aussi des familles qui achètent les repas en ces lieux.

Nos volontaires ont été très surpris par la tendance de plus en plus généralisée chez les sénégalais à manger dehors. Jusqu’à un passé récent cette pratique était peu répandue pour des raisons culturelles.

Des menus en fonction de l’heure et de la clientèle

En fonction de l’heure, des repas aux menus variés sont servis à cette clientèle très diversifiée. Pour le petit déjeuner par exemple, les vendeuses disposent sur une table des bols contenant chacun une sauce pour concocter un sandwich, à la guise du client, sur place ou à emporter, enroulé dans du papier journal :

« Arame mets à la disposition de ses clients trois longs bancs. Sur sa table, sont disposés des bols contenant de la mayonnaise, du thon, de la sauce aux petits pois, des spaghettis, des frites, de la viande en conserve, du ndambé[3] etc. Elle ajoute aux aliments des assaisonnements et épices (piment, poivre, bouillon) selon le goût des clients »

A midi, des plats essentiellement à base de riz sont proposés aux clients : c’est surtout le riz au poisson « ceebu jën » qui est préparé. Cependant, la majorité proposent en même temps un ou plusieurs autres plats appelés « ñaari cinn » [4] :

« Il faut toujours diversifier dans la préparation. Arame et Khady confirment bien cette réalité. La première nous dit qu’il y a « autant de clients que de goûts ». Il faut en préparer le maximum pour avoir des chances de bien vendre. L’essentiel de son travail est concentré sur les différents types de sauces. C’est le même constat chez Khady, à part le riz au poisson, elle prépare du « mafé », « supp-kànja », « mboroxe », « yaasa », « cuu », « domoda », tous les plats Sénégal, selon elle ».

 

Vers 17h, des petites tables ou kiosques plus fréquents près des lieux d’habitation se mettent en place et proposent des « sandwich fataya », « sandwich accra », « pain-thon » et à 19h des vendeuses de bouillie de mil (laax, fonde) et de couscous à base de mil (ceere, caagiri) mais aussi d’aliments venant de la sous-région (atiéké) se mettent en place dans les grandes artères.

Le soir, les vendeurs de sandwich au poulet, foie ou viande grillée sont nombreux. On voit également des vendeurs de viande bouillie à petit feu d’origine maure appelés « forox-caaya » qui déambulent à longueur de journée avec un petit chariot comportant un fourneau ou mijotent des morceaux de viande cuits à point.

La préparation des aliments

Pour ce qui concerne le petit déjeuner, la plupart des vendeurs préparent chez eux et se contentent de réchauffer (ou pas) avant de servir aux clients. Cependant, dans certains lieux où la préparation des aliments en présence du client (omelettes, frites, viande rôtie, pomme de terre sautées) fait partie du concept (tangana[5]), la préparation se fait obligatoirement sur place. Pour le déjeuner également, la préparation se fait sur place dans de grosses marmites disposées à l’intérieur, aux alentours ou devant le restaurant.

Pour d’autres toute la chaine de préparation est une affaire très sérieuse, donc personnelle, notamment pour des raisons liées aux préceptes musulmans (halal) :

« Abdallah nous confie qu’il est musulman et qu’il ne peut pas consommer ou vendre directement ce qui vient de l’Europe parce qu’il ne sait pas « comment on a fait pour égorger ça ». Selon lui on doit chercher la félicité dans l’au-delà en tout métier que l’on exerce, donc si le travail n’est pas bien fait, on ne peut accéder au salut. On perd deux fois : on se fatigue avec la recherche de l’argent ici et demain devant Dieu, ce sera un compte-rendu difficile. Les africains ne peuvent risquer, selon lui, après les conditions difficiles de vie sur terre, perdre le salut dans l’au-delà. C’est pour cette raison qu’il ne cède pas à la facilité. Selon lui, la viande devrait porter la mention « halal » pour rassurer au moins le consommateur. »

 

La question de l’hygiène dans la préparation a aussi été abordée, les vendeurs se disent en règle avec les services de l’Etat chargés du contrôle de l’hygiène et disent avoir tous leurs papiers en règle. Ils avancent aussi que les clients sont en général très exigeants sur les questions d’hygiène. Nos volontaires s’interrogent cependant sur la perception que les sénégalais ont de l’hygiène.

 

 

[1] Locaux uniformisés à dimensions variables construits côte à côte dans les marchés ou le long des routes fréquentées et destinés à accueillir des commerces

[2] Exemple du dibi haoussa très apprécié par les sénégalais.

[3] Sauce préparée avec du niébé préalablement bouilli, puis mélangé à des petites tranches d’oignons sautés à l’ail, avec de la tomate en conserves et des assaisonnements.

[4] Littéralement, ñaari cinn  signifie en wolof « Deux marmites ». Cette appellation désigne tous les plats qui, à la différence du ceebu jën (riz au poisson) qui est cuisiné avec une seule marmite, sont préparés avec deux marmites : l’une pour le riz blanc et l’autre pour la sauce.

[5] Signifie littéralement en wolof : « il fait chaud » ou « c’est chaud » et désigne un lieu où le vendeur prépare les aliments en présence du client qui voit son repas rôtir et lui être servi tout chaud sur un plat. Il y fait souvent très chaud car le même local exigu tient lieu de cuisine et salle à manger.