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Une fête à plusieurs dimensions : Enquête sur la Tabaski 2019 au Sénégal

Au-delà de sa dimension religieuse, la Tabaski est sans conteste l’événement le plus remarquable du calendrier musulman sénégalais. 

By Bruno Diomaye Faye

La fête de « Aï-al Adha », connue aussi sous le nom de la Tabaski est un moment essentiel dans la vie cultuelle du musulman. Une des deux uniques fêtes de l’Islam, comme beaucoup la comprennent, mais qui revêt des particularités selon les peuples. Au Sénégal, elle a, comme toujours, été célébrée avec beaucoup de ferveur dans la première quinzaine du mois d’août.

Au-delà de sa dimension religieuse, la tabaski est sans conteste l’événement le plus remarquable du calendrier musulman sénégalais. Comme l’a remarqué un de nos volontaires, l’importance de l’événement est telle qu’il semble être au centre des activités annuelles des individus :

« Quand la date de la Tabaski approche, le on le remarque aussi dans le rapport des individus avec le temps. En effet, toutes les activités sont programmées en se référant à la Tabaski… »

Durant les préparatifs, au Jour J et dans les jours qui suivent, des faits intéressants se déroulent à travers le pays. Nos volontaires Saratou Mbengue, Dieynaba Sarr, Assane Kébé et Wally Sène nous racontent leur environnement avant, pendant et après la Tabaski, dans quatre localités du Sénégal : Coki[1], Niomré[2], Rufisque[3] et Thiès[4].

Les préparatifs…

Le lieu où les préparatifs de la fête est le plus visible demeure sans conteste le marché :

« Tout le long de la route principale de Niomré, les gens sortent en petits groupes et prennent tous la même direction : le marché. On voit des femmes portant des seaux vides et des hommes, trainant des moutons bien attachés avec des cordes ; au marché, on ne peut s’empêcher d’être frappé par l’immense foule et le bruit, il y’a des vendeurs partout, toutes sortes de marchandises et de produits sont exposés de part et d’autre de la route…à travers cette atmosphère unique, on sent déjà l’esprit de la fête de Tabaski »

En plus des vendeurs habituels donc, les marchés sont investis par des lieux de vente improvisés, dans tous les espaces libres, les trottoirs etc…ainsi que des marchands ambulants très actifs. Au marché se trouve aussi les tailleurs, les coiffeurs pour homme et femme qui sont extrêmement débordés au fur et à mesure que la fête approche. Les meubles, les pots de fleur, les moquettes et beaucoup d’autres articles de décoration sont en promotion, puisqu’il est de coutume de repeindre les maisons et les décorer avant la fête.

Non loin du marché se trouve également le foirail communément appelé ici Daral, ou des moutons, par centaines, sont exposés. Il y’a aussi quelques bœufs ainsi que des chèvres pour les petites bourses.

Goats at the market

Les prix sont très élevés et il arrive que les chefs de familles fassent plusieurs aller-retours pour marchander ou espérer tomber sur une bonne affaire. Non loin des Daral on peut voir des lieux de restauration improvisés :

« Nous avons aussi noté la présence de nombreuses buvettes et restaurants aux alentours du foirail. La plupart des vendeurs de moutons prennent leurs repas dans ces restaurants improvisés. Les restauratrices font de ce fait, de bonnes affaires avant l’événement car les vendeurs de moutons, de cordes et fourrage pour les bêtes commencent à s’installer au foirail un mois avant la fête et y passent tout leur temps. Il y’a cependant parmi les vendeurs certains qui préfèrent cuisiner pour eux-mêmes et qui viennent avec leurs propres ustensiles et condiments (des bols, des légumes, des fourneaux etc.). Ces derniers ne fréquentent pas les restaurants. »

Le marché est aussi, le plus souvent, le lieu de départ d’un type particulier de transport en commun appelé « horaire » : il s’agit de bus ou cars de transport qui partent dans un lieu bien déterminé (souvent un village ou une zone regroupant des villages difficile d’accès et que les modes de transports interurbains ne desservissent pas ) et rallient la capitale selon un horaire[5] aussi régulier que rigoureux . Dans les gares aussi l’affluence est de mise, et à deux ou trois jours de l’événement, les tarifs augmentent. Cette affluence est due au fait qu’un grand nombre de personnes qui ont quitté leur ville ou village d’origine pour chercher du travail à la capitale, ne reviennent à la maison qu’à la Tabaski, sauf cas exceptionnel. C’est également la période où certains immigrés en Europe et en Amérique : les « modou-modou » reviennent au pays pour quelques jours.

Le Jour J

La Tabaski a été fêté cette année le 12 août par la majorité des musulmans du pays. Dès le petit matin, les radios et télévisions diffusent des chants religieux. La première activité remarquable est l’assainissement dans les maisons et aux alentours par des groupes de femmes et de jeunes filles :

« Elles balaient et nettoient l’intérieur des maisons ainsi que les devantures…elles sont munies de balais et de tamis. Elles s’organisent en groupes et se divisent le travail : les unes balaient le sol pendant que les autres tamisent. Une folle ambiance est au rendez-vous, elles discutent, tout en balayant et se lancent des boutades, c’est beau à voir…pendant ce temps, les hommes installent les nouveaux rideaux »

Il est bientôt 9h, l’heure de la prière, les hommes et les jeunes garçons mettent de très beaux boubous et s’aspergent de parfums : direction la mosquée du quartier. A un quart d’heure du début de la prière l’imam du quartier, entouré de son second et d’un groupe de notables rejoint d’une démarche solennelle le lieu de prières. Des femmes restées à la maison sortent admirer cette procession pendant un instant, alertées par les chants religieux qu’entonnent les accompagnants de l’imam.

« …Ce dernier arrive sur le lieu accompagné par une grande foule. Sur le chemin, certains d’entre eux récitaient les incantations suivantes comme le coran le recommande : « allahou akbar kabira wal hamdoulilahi kassira wa soubhanalahou bouhratan wa assila »

L’imam, après avoir dirigé la prière, fait un sermon aux contenus variés, allant des rappels des préceptes religieux sur la tabaski aux exhortations sur les faits de société :

« Pour cette fête l’imam a mis l’accent sur l’actualité en évoquant notamment la question de l’homosexualité, des violences, viols et meurtres de plus en plus fréquents. Il a aussi rappelé aux fidèles l’origine de la tabaski et sa signification »

Juste à la fin de la prière il égorge son mouton à la sortie de la mosquée. Les hommes après avoir serré quelques mains rejoignent le quartier font le tour du voisinage pour demander pardon et échanger des vœux, avant de retourner à la maison pour sacrifier à la tradition et procéder au dépeçage.

Chopping meat

Sacrificing goat

Ensuite la place est laissée aux femmes qui vont servir deux repas dans la journée. Le premier est plus rapide à préparer et consiste à griller de la viande. Après ce repas, un autre plus « sophistiqué » sera servi vers 16h.

Grilling for the feast

« Avant le déjeuner, on mange le « lakk » qui sert d’entrer en matière pour attendre patiemment le déjeuner qui sera servi vers 16h. C’est la fête toute la journée, il y a la viande, les fruits, les amuses bouche et les boissons. Dès que le déjeuner est prêt, de jolis plats sont servis, remplis et bien ornés. En vertu du bon voisinage et au vivre ensemble, des plats sont échangés avec les proches et les connaissances, surtout s’ils sont de confession catholique. »

Feasting with community

Juste après le repas vers 18h les enfants, rivalisant de beaux vêtements vont saluer de maison en maison, et recevoir des étrennes appelés ici « ndewenal ». A partir de 20h aussi, les adultes passent de maison en maison pour des visites de courtoisie.

Les lendemains…

Le lendemain de la Tabaski est caractérisé par un grand calme et des rues désertes pendant une bonne partie de la matinée. Les gens sont très fatigués par les préparatifs et l’effervescence de la veille, le réveil est difficile. Lendemain de Tabaski rime aussi avec insalubrité dans les rues et parfois dans les maisons :

« il y a, à chaque lendemain de tabaski, un sérieux problème de gestion des déchets. Les achats multiples en vue de la fête font qu’il y a beaucoup d’emballages par exemple qui s’accumulent et viennent s’ajouter aux déchets organiques liées à la préparation des repas dans les maisons. »

Les lendemains de tabaski sont aussi pour certains, l’occasion d’un bilan amer, suite aux gaspillages et à l’endettement durant la préparation de l’événement. Pour d’autres, des maladies suite à la consommation excessive de viande et de matières grasses surviennent. C’est d’ailleurs pour éviter une surconsommation de ce type d’aliments que dans la plupart des ménages, le « laax » (bouillie de mil) est au menu le lendemain de la fête.

Le lendemain de Tabaski est enfin l’occasion d’organiser des réunions de famille[6], ainsi que des événements culturels (match de football, concerts, soirées) et religieux (récitals de coran pour les défunts, conférences religieuses) :

« Coumba Gawlo Seck animait une soirée à Thiès le lendemain de la tabaski. Dans le même temps, les programmes télévisés spéciale tabaski, des soirées traditionnelles folkloriques sont organisées ».

« L’Association des Jeunes Unis de Grand’Ville[7] a organisé un panel autour du thème : « Jeunesse et crise des valeurs : quelles solutions ?» avec trois intervenants ayant un parcours et formation différents. Ce fut un acte très apprécié des anciens qui n’étaient venus que pour la Tabaski et qui ont constaté avec plaisir les efforts des jeunes pour le développement de leur terroir. »

 

Nos quatre volontaires ont tous insisté sur le fait que la Tabaski telle qu’elle se présente actuellement est bien différente de celle de leur enfance. Elle est passée d’une « fête pour tous » à une fête pour les enfants. Face à la cherté de la vie, les adultes s’acquittent du minimum et s’efforcent juste à la rendre belle pour les plus jeunes. Elle reste néanmoins un moment fort de retrouvailles et d’échanges entre parents et voisins.
 

[1] Coki est un village situé au Nord-Ouest dans la région de Louga. Il est connu pour son école coranique très célèbre appelé Daraay Coki.

[2] Niomré est une commune qui regroupe 47 villages sur une superficie de 230km2. Elle se situe également au Nord-Ouest dans la Région de Louga.

[3] Rufisque est une ville de la Région de Dakar. En 1880 elle était érigée en commune mixte par la France et ses habitants avaient la citoyenneté française.

[4] Thiès est une grande ville située à 70km de Dakar. Elle fut créée par l’administration coloniale française en 1904.

[5] Il est journalier pour les petites distances ou hebdomadaire ou semi-hebdomadaire pour les gr            andes distances.

[6] C’est une des rares occasions où la famille est réunie.

[7] Un quartier de Coki